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Les chroniques polars et bédé        de Claude Le Nocher - ABC POLAR

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Alain Vince : Lafayette, go home ! (Éd.Terre de Brume, 2014)

Alain Vince : Lafayette, go home ! (Éd.Terre de Brume, 2014)

En 1919, la Grande Guerre est terminée, mais Saint-Nazaire reste la base stratégique de l'Ouest de la France pour l'armée américaine. La présence des troupes alliées, et l'activité portuaire renforcée par cette présence militaire, profitent à l'économie locale. Encore que le personnel du port s'estime mal payé et, plutôt soutenus par la municipalité de gauche, les dockers poursuivent une longue grève. Tous ces jeunes soldats dans les rues de Saint-Nazaire, ça entraîne divers méfaits et arnaques à leur encontre. Ainsi qu'une prostitution féminine très importante, une débauche mal contrôlable. En outre, les trafics clandestins de marchandises variées fleurissent entre le camp de Montoir et la ville.

Ce n'est pas le policier Jules Cagot qui sera capable de mettre fin à aucun de ces troubles. Ancien combattant à la gueule-cassée, il a été réintégré dans la police de Saint-Nazaire, mais n'occupe qu'un emploi subalterne. Jules est sujet à des crises, créant une amnésie partielle, ce qui l'a amené à noter tout ce qu'il risque d'oublier brutalement. Quand le cadavre d'Emma Lenaour est retrouvé dans le marais de Brière, on conclut à un suicide. Militante de gauche, élue au conseil municipal, Emma fut avant-guerre la compagne de Jules. Dans le logement du policier, une sorte d'icône rappelle le souvenir de la jeune femme, à laquelle il lui arrive de parler pour meubler sa solitude et chasser sa douleur.

Joe Delaronde est un Indien de la tribu des Houmas, natif de Louisiane, dans le delta du Mississipi. Homme athlétique, il fut adjoint du shérif avant de devenir soldat. Joe a trouvé quelques indices autour de la mort d'Emma. Son enquête parallèle le mène au camp de Montoir, sur la piste d'un nommé John Greenwood. Le capitaine Brown, supérieur de Joe, est un ancien de l'agence Pinkerton. Si, pour lui, le cas de Greenwood doit se traiter en interne dans leur armée, une autre affaire pose problème. Jackson, un soldat Noir, vient d'être assassiné en ville. Puisque Joe parle une forme de français, le langage cajun, il va s'associer à la police française. C'est Jules Cagot qui enquête sur le meurtre de Jackson.

Le soldat américain disposait de beaucoup d'argent, sans doute le fruit de ses trafics au camp de Montoir. Jules a aussi découvert une forte somme cachée par un inconnu dans l'appartement d'Emma. Un coup monté visant à faire croire qu'elle était corrompue. Jules rencontre le médecin qui a signé le rapport sur la mort d'Emma. Il avoue avoir été payé pour faire croire au suicide. Peu après, la concierge de l'immeuble ou habitait Emma est torturée à mort. Puis c'est Jules lui-même qui est violemment agressé par des voyous. Joe intervient à temps, liquidant les malfaiteurs. Le duo espère qu'un visite au café “Le rocher du Lion” les fera progresser. Néanmoins, la menace mortelle est de plus en plus présente autour de Jules et Joe...

 

Proche des célèbres marais salants de Guérande et des plages de La Baule, la Brière est aujourd'hui un parc naturel protégé de l'urbanisation excessive. En 1919, plus sauvage encore, ce site devait beaucoup ressembler aux bayous de Louisiane. Un Indien tel que Joe Delaronde, venant de la petite ville de Houma, n'aurait certes pas été désorienté dans ce décor. Il se démarque des autres militaires américains, alors qu'il peut pourtant se revendiquer d'un peuple originaire de leur continent. Il s'exprime dans un délicieux langage cajun, dont il a bien raison de dire que c'est du vrai français. L'autre héros, rescapé de la guerre, marqué physiquement et moralement, s'avère plus malheureux. À la limite du fétichisme, il est devenu introverti mais essaie de garder un rôle social. Si Joe et lui collaborent, c'est tout de même l'Indien qui reste le plus efficace.

Même s'il est citadin de longue date, le marais de Brière et Saint-Nazaire sont la région d'origine d'Alain Vince. Dans ce roman, il reconstitue ces lieux tels qu'ils étaient au début du 20e siècle. Ville ouvrière où les tensions sociales furent longtemps fortes, Saint-Nazaire est alors vivante et populaire. Y compris grâce à ces salariés venus des environs, voire de toute la Bretagne. Les quartiers de Méan-Penhoët, de Toutes-Aides, de l'Immaculée, sont probablement moins symboliques de nos jours. Les habitants étaient fiers à contribuer à l'essor de cette ville, à sa “modernité”. Si la création du port datait de la deuxième moitié du siècle précédent, il est vrai que la présence des troupes américaines durant la première guerre mondiale permit un développement encore plus important. Non sans occasionner certains problèmes, ce que suggère cette fiction.

Sans étalage inutile d'érudition, Alain Vince nous plonge dans l'ambiance nazairienne de cette époque. Un contexte plus que singulier, il faut le reconnaître. Soulignons l'habituelle fluidité narrative de cet auteur, qui ne manque pas de talent. Voilà une solide intrigue, au climat sombre, captivante et documentée, un roman noir historique de très belle qualité.

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