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Les chroniques polars et bédé        de Claude Le Nocher - ABC POLAR

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Gilles Morris-Dumoulin : La barbe du Prophète (Presses de la Cité, 1961)

Gilles Morris-Dumoulin : La barbe du Prophète (Presses de la Cité, 1961)

De 1956 à sa mort en 1970, le président égyptien Nasser est l’homme le plus influent du monde arabe. En particulier, parce qu’il a résisté aux Occidentaux après avoir nationalisé le Canal de Suez. C’est à l’initiative de ce partisan du panarabisme que se crée un nouvel État regroupant l’Égypte et la Syrie : la République Arabe Unie dure de février 1958 à septembre 1961. Le régime nassérien est autoritaire, ce qui provoquera cette scission côté syrien. Ville multimillénaire de Syrie, Alep compte plus de 425000 habitants en 1960. Les monuments historiques et religieux sont nombreux. L’activité économique et touristique reste importante, malgré un certain déclin, pour ce pays du Moyen-Orient.

Golam Naghizadeh est un prospère boutiquier des souks d’Alep. Son frère aîné Rezah est professeur d’études coraniques à la célèbre université El Azhar, au Caire. Il maîtrise tous les aspects de la religion musulmane. Rezah Naghizadeh est clandestinement de retour à Alep, avec son ami Derradji. Ce dernier ne tarde pas à supprimer un voisin commerçant trop curieux, à la solde de la police nassérienne. Ce qui n’est pas sans conséquences pour Golam, et pour le jeune agent de la CIA qui le surveillait, Cliff Hanford. Le commissaire Azzem est sans pitié pour les opposants à Nasser. Tandis que Rezah se cache, Derradji tente de prendre contact avec quelqu’un qui pourra les aider à quitter la Syrie.

Si Rod MacKenna est l’agent officiel de la CIA à Alep, c’est l’espion Gary Farrell qui a été chargé du cas Rezah Naghizadeh. “Assurer la sécurité, puis l’évacuation de Rezah hors des frontières syriennes ; ramener, par n’importe quel moyen, dans n’importe quelle condition, les connaissances qu’il transportait dans sa tête, les documents qu’il pouvait détenir, telle était la mission qui avait motivé l’envoi en République Arabe Unie d’un agent spécial chevronné. Mais apparemment, il y avait de la concurrence”. En effet, le contact de Rezah semble être Fara Millâh, d’origine iranienne. Âgée de dix-sept ans, cette jolie jeune fille en paraît vingt, et profite de son charme oriental pour allumer les hommes.

Bien que Gary Farrell ait prié MacKenna de se faire discret, l’agent local a la mauvaise idée de rechercher Rezah de son côté. Pendant ce temps, Gary s’introduit chez Fara Millâh afin de lui faire avouer ce qu’elle sait. Le commissaire Azzem et ses hommes ne tardent pas à débouler dans cet immeuble, recelant plusieurs cadavres. Tandis que Fara fait l’innocente face au policier, Gary doit se cacher chez l’habitant voisin, son compatriote Greg Wilson. Le lendemain, lors d’une visite guidée de sites remarquables d’Alep, Gary et Fara essaient de retrouver Rezah. Mais, dans la Citadelle, le couple est bientôt en danger. Ils le sont encore bien plus quand le commissaire et ses sbires reviennent à l’appartement de Fara…

(Extrait) : “Le commissaire Azzem, grand amateur de beauté féminine, ne regrettait pas d’avoir sonné personnellement à la porte de Fara Millâh. Cette petite était une merveille ambulante ! Surtout dans ce déshabillé, sous la lumière vive du salon. Chaque fois qu’elle s’y exposait, selon certains angles, elle était pratiquement nue, mais dormait debout et ne paraissait pas s’en douter une seconde. Azzem en avait les tripes sciées au niveau du diaphragme.

Elle ne savait rien, naturellement. Elle n’avait rien vu, rien entendu. D’ailleurs, Azzem s’était renseigné entre-temps sur les locataires de l’immeuble, et les parents de cette mignonne étaient riches, influents. Elle ne pouvait pas être compromise dans une telle aventure. Elle écouta, les yeux progressivement agrandis, le récit de la découverte des trois policiers massacrés dans le hall de l’immeuble, et de ce quatrième cadavre sur le toit-terrasse, et de tout ce sang répandu, quelle horreur !”

 

Hommage à Gilles Morris-Dumoulin, décédé l’année dernière à 92 ans, le 10 juin 2016. Traducteur et auteur, il écrivit quantité de romans policiers à suspense, d’anticipation et d’espionnage. Il fut récompensé en 1955 par le Grand Prix de Littérature Policière. Pilier de la collection Un Mystère, Gilles Morris-Dumoulin deviendra un des auteurs importants du Fleuve Noir à partir de la décennie 1960. Fertiles en péripéties, tous ses romans sont placés sous le signe de l’aventure, de l’action et du mystère. C’est particulièrement le cas quand il traite d’espionnage. Bien que paru dans une petite collection populaire en 1961, “La barbe du Prophète” n’est pas une affaire basique de rivalité entre agents secrets, comme il s’en publia tellement au temps de la Guerre Froide.

Ce roman témoigne d’un épisode sans doute oublié de l’Histoire du 20e siècle. Avant que s’imposent l’Arabie Saoudite et les Émirats, c’est l’Égypte du président Nasser qui possède la plus forte image au Moyen-Orient, à l’époque. Fédérer et moderniser le monde arabe, telle est l’ambition de Gamal Abdel Nasser. Autour de 1960, pendant trois ans, il organise une union entre son pays et la Syrie, mais ses méthodes se heurtent à des oppositions. Il n’est pas impossible que les pays occidentaux, craignant la puissance de Nasser, se soient efforcés de contrecarrer l’essor de cette République Arabe Unie. Il est vrai que cette région du monde grouillait d’espions de tous les camps, en ce temps-là.

C’est avec précision et d’une façon très vivante que Gilles Morris-Dumoulin nous présente la ville d’Alep, s’étant parfaitement documenté sur les lieux décrits : “Laissant sur sa gauche le consulat de France et l’église latine, il atteignit la rue Tilel qui marque, à l’est, une frontière sans transition entre la moderne Aziziyé et l’antique Djédéidé, quartier pittoresque riche en vieilles maisons orientales. À l’angle de la rue Nayal, il sauta dans un tramway, descendit au carrefour des rues Naoura, Tchiftlik et Kalaseh…”

Mais il est ici également question de religion, le futur exfiltré Rezah Naghizadeh étant un spécialiste de l’Islam, un expert du Coran. En marge du récit, des annotations de bas-de-page expliquent les références musulmanes. On souligne que le mot "djihad" signifie plutôt "lutte collective" que "guerre sainte", relativisant la notion de combat armé. Ce qui montre qu’existe de longue date une ambiguïté sur la lecture et la traduction du Coran. Un petit roman d’espionnage ? Peut-être, car les codes du genre sont largement utilisés. Mais une intrigue qui offre aussi, encore aujourd’hui, matière à réflexion.

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