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15 Juin 2010
En 1882, la notoriété grandissante d’Oscar Wilde à Londres l’amène à donner une série de conférences aux Etats-Unis. Ce voyage d’une année lui permet de
rencontrer des personnes avec lesquelles il sympathise. C’est le cas d’Eddie Garstrang, joueur professionnel de poker et bon tireur, ou du valet Washington Traquair, un Noir fort compétent.
Surtout, Oscar Wilde rencontre Edmond La Grange, comédien et directeur d’une compagnie théâtrale parisienne. À l’époque, sa notoriété égale celle de la grande Sarah Bernhardt, avec laquelle il
est ami. Issu d’une famille de comédiens, Edmond La Grange est entouré de sa mère Liselotte, de ses enfants jumeaux Bernard et Agnès, de sa maîtresse Gabrielle de La Tourbillon, et de son vieil
ami acteur Carlos Branco. La Grange a pour projet de réaliser prochainement avec Oscar Wilde une brillante adaptation de Hamlet, dans son théâtre du Boulevard du Temple.
Avant leur retour, Edmond La Grange engage Traquair comme habilleur et Eddie Garstrang pour secrétaire et partenaire aux cartes. Sur le navire vers l’Europe, le caniche de Maman La Grange est retrouvé mort dans une malle appartenant à Oscar Wilde. Ce qui vaut à celui-ci quelques tracas à l’arrivée dans le port de Liverpool. Quelques semaines plus tard, Oscar Wilde rejoint Edmond La Grange et sa troupe à Paris, dans leur théâtre totalement rénové. En parallèle des répétitions d’Hamlet, la compagnie La Grange joue avec succès des classiques du répertoire. C’est à cette époque qu’Oscar Wilde fait la connaissance de Robert Sherard, qui devient son meilleur ami et son biographe, narrateur de cet épisode de sa vie. Tandis que Robert Sherard tombe amoureux de l’actrice Gabrielle de La Tourbillon, Oscar Wilde apprécie les soirées chez Sarah Bernhardt. Il y côtoie de grands artistes français, dont Maurice Rollinat ou Jacques-Émile Blanche.
Cachotteries, drames et mystères entourent la troupe de La Grange. Le suicide au gaz de Washington Traquair peut aussi bien être un meurtre. Avec le Dr Ferrand, médecin ami de La Grange, Oscar Wilde s’arrange pour ne pas troubler la représentation, avant de s’occuper des cendres de Traquair. Les crises de la fragile Agnès sont certainement inquiétantes. L’esprit macabre et décadent de Bernard La Grange l’incite à fréquenter les misérables de la Salle des morts. La Grange est grugé par son comptable, Marais, mais s’en accommode. Eddie Garstrang et Robert Sherard s’opposent dans un duel au pistolet, au sujet de Gabrielle de La Tourbillon. Edmond La Grange intervient à sa manière : malgré trois tirs, aucun sang n’est versé. Oscar Wilde est visé par un incident dans les coulisses du théâtre. Peu après, suite à une soirée chez Sarah Bernhardt, il est encore sévèrement agressé dans la rue. Il s’éloigne un temps de Paris.
La première d’Hamlet est un triomphe. Perturbée, Agnès La Grange disparaît. De retour en France, Oscar Wilde (et son ami Robert Sherard) retrouve sa trace. L’affaire prend bientôt une tournure criminelle, avec plusieurs meurtres. Le policier Félix Malthus mène l’enquête. Toutefois, les secrets qui planent autour d’Edmond La Grange et de ses proches sont fort complexes. La vérité ne sera dévoilée qu’en 1891 par Oscar Wilde à son ami le docteur Arthur Conan Doyle…
C’est avec minutie et respect que Gyles Brandreth reconstitue à la perfection les périples et aventures d’Oscar Wilde, ainsi que l’ambiance du Paris artistique de la fin du 19e siècle. Dans ce troisième roman, on retrouve avec bonheur le dandy plein d’esprit : “J’ai découvert que, pour rester jeune, le secret était d’entretenir une passion excessive pour le plaisir.” Il illustre son mode de réflexion et son sens déductif à sa manière : “Je suis un rêveur […] Un rêveur, Robert, c’est une personne qui ne peut trouver son chemin qu’à la lumière de la lune. Sa punition est de découvrir l’aube avant tout le monde.” Âgé de moins de trente ans, il en est au début de cette période flamboyante de sa vie, avant la chute prématurée. À ce propos, Wilde trouve l’occasion de visiter la prison de Reading, qu’il trouve déjà angoissante. Énigmes et sourires sont ici au rendez-vous. L’auteur en fait le devancier de Proust, quand Wilde déclare : “Quand on goûte une madeleine, on ne l’oublie jamais.” Les milieux qu’il fréquente à Paris oscillent entre réprobation bourgeoise contre les artistes et excentriques plaisirs épicuriens, effectivement symboliques de ce monde-là. On savoure la présence de la talentueuse Sarah Bernhard, presque maternelle avec ses amis. Ce voyage dans le temps et dans l’univers d’Oscar Wilde est un pur plaisir.