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27 Mai 2011
Conseiller municipal, Vincent de Moulerin a été abattu par balles dans un parking souterrain
marseillais. La victime avait le grade de colonel, suite à une brillante carrière militaire en Indochine puis en Algérie. Trente ans plus tôt, il créa une société de gardiennage à Marseille,
aujourd’hui dirigée par son fils Antoine. Pour le commissaire Arnal, c’est dans le banditisme local qu’on trouverait l’assassin de Vincent de Moulerin. L’enquête de routine est confiée à Emma
Govgaline, jeune policière à l’allure androgyne, limite gothique. Elle-même fille d’un militaire trop distant, maintenant décédé, Emma prend à cœur cette affaire. Aux obsèques, les éloges de son
compagnon d’armes Bernardinet envers le colonel masquent un passé de facho, estime Emma. La veuve et la famille de Moulerin lui ont peu apporté d’aide. La policière contacte le toujours bien
informé Clovis Narigou. Celui-ci se trouvant à New York, il la met en relation avec plusieurs amis.
C’est surtout l’ancien journaliste Mario Crescensi qui, bien qu’il vive sa retraite dans le Lubéron, est capable de lui donner des éléments. Sur la Guerre d’Algérie, d’abord, en lui rappelant le massacre d’éducateurs par un commando de l’armée française. Certes, rien ne prouve que le défunt colonel en fit partie. L’important reste de découvrir où de Moulerin se trouvait de 1962 à 1980. Sans doute en Espagne, puisque c’est là qu’il se maria avec Eva Torres. Acceptant de recevoir Emma, la veuve confirme mais ne croit pas à un acte de vengeance contre son mari. Selon elle, il était particulièrement soucieux ces derniers temps. Il avait reçu récemment un étrange dé à cinq faces, troublant cadeau. Emma demande à Mario de se renseigner à ce sujet. Chez les Moulerin, le petit-fils Kevin apparaît singulier. Il s’isole en permanence avec son ordinateur, fréquente assidûment le monde virtuel de Second Life, fait des recherches sur sa famille.
Emma fait un saut à Paris, où Bernardinet lui confirme que son ami de Moulerin a passé quelques années comme instructeur en Argentine. Un partenariat officiel entre la France et ce pays. Les efficaces méthodes de l’armée française étaient appréciées là-bas. Cette mission en Argentine cessa avant que ne s’installe la dictature de Videla et de ses généraux. Toutefois la chronologie concernant le défunt colonel n’est pas totalement claire encore pour Emma. Son amie Rosy est agressée dans l’appartement de la jeune policière, qui ne doute pas avoir été la véritable cible. Elle se réfugie un temps à La Varune, le village de Clovis, où elle est adoptée par les amis de celui-ci, toujours absent. Son supérieur Arnal fait bientôt pression sur Emma pour qu’elle s’occupe du banditisme marseillais plutôt que de cette affaire. Néanmoins, Mario continue à chercher des infos pour elle, et un ancien copain de classe initie Emma à Second Life…
Maurice Gouiran joue sur deux principales facettes. D’abord, une vraie intrigue à suspense. Il y a bien une victime et un tueur, ainsi qu’un contexte criminel pas si limpide. L’aspect enquête est complété par quelques considérations sur la ville de Marseille, ses supporteurs parfois exaspérants, son grand banditisme à peine caché, sa police éventuellement vérolée. Il est vrai que ceci est vu à travers le regard de la jeune Emma, bisexuelle mal dans sa peau. Sa fragilité la rend touchante, mais elle ne manque pas non plus de persévérance. La seconde facette, c’est la documentation historique liée à l’affaire. La volonté de l’auteur, c’est de nous rappeler ces faits dramatiques afin que le temps ne les gomme pas, qu’on ne les oublie pas. Le rôle d’une large partie de l’armée française durant la guerre d’Algérie ne fut guère glorieux, la torture et les exécutions sommaires n’étant jamais justifiables. Quant à la dictature en Argentine dans les années 1970-80, il est bon d’en souligner les atroces méthodes qui causèrent des dizaines de milliers de disparus. Pendant ce temps, on jouait au football pour le Mundial 1978 sans condamner ce régime. La France ne fut pas officiellement impliquée dans le sinistre et meurtrier Plan Condor, mais on ne peut exclure qu’elle y contribua indirectement. C’est un roman militant fort convaincant que nous présente Maurice Gouiran, autant qu’un polar de belle qualité.