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Les chroniques polars et bédé        de Claude Le Nocher - ABC POLAR

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Philippe Huet : Nuit d’encre (Albin Michel, 2012)

12-HUETEn Normandie, Le Journal de Rouen, propriété de la famille Fondelais depuis plusieurs générations, était une institution. En 1945, comme d’autre journaux qui avaient collaboré avec l’occupant, celui-ci fut repris par les autorités issues de la Résistance. Tandis que les Fondelais étaient condamnés, on plaça à la tête du nouveau journal Normandie Paul-Henri Sternis. Cet ancien imprimeur juif avait dû se cacher avec les siens durant ces années sombres. Sans doute, ce poste de patron aurait-il pu revenir à d’autres, qui furent plus impliqués au combat. Raoul Clairot, rentré mal en point de déportation, eût été légitime mais il n’était pas en état. Comme d’autres valeureux résistants, Clairot figura parmi les actionnaires du quotidien. Pendant un quart de siècle, Paul-Henri Sternis dirigea la rédaction avec intransigeance, veillant à une saine gestion du journal.

Vers 1970. Encore à la tête de Normandie, Sternis est un septuagénaire diminué par la maladie et les traitements. Son journal lui permet toujours d’affronter ses maux. Son factotum Carlos et sa jeune infirmière Pauline s’occupent bien de lui. Sa compagne Flora et son amie ex-résistante Madeleine, qu’il connaît toutes deux depuis la fin de la Guerre, sont fort utiles à son moral. Sternis est averti par un des actionnaires, Max Fortin, que l’on cherche à racheter le journal. L’opération est menée par les frères Gilbert et Patrice Gosselin, aidés par Franck Grainville. Ce dernier fut un vrai héros de la Résistance, avant de péricliter. Quant à Gilbert Gosselin, il a été un des plus fervents collabos de la région. Beaucoup de notables locaux s’en souviennent. Depuis quelques temps, Gilbert et son jeune frère sont en train de racheter de nombreux journaux à travers la France.

Ainsi que le pense Sternis, les Gosselin restent des minus. Mais il ignore que leur commanditaire n’est autre qu’Hubert Fondelais, installé à Berne. Il a missionné le duo pour se venger, en offrant de grosses sommes pour les actions détenues par les uns ou les autres. L’idéal pour les Gosselin serait d’avoir dans leur camp Raoul Clairot, ce résistant respecté et influent. Sternis ne s’avouera pas que lui-même, à la fin de la guerre, n’a pas été complètement honnête vis-à-vis des Fondelais, de Clairot ou de Roger Passart, qui était l’amant de Flora. Il vérifie qu’il a bien le soutien de plusieurs actionnaires, non vendeurs. Par des articles, il essaie d’alerter l’opinion publique sur les manœuvres en cours contre Normandie. Alors que Gilbert Gosselin piétine un peu, Fondelais lui donne trois semaines pour achever le rachat. Entre combines et coups tordus, il tente tout…

Récompensé par le Grand prix de Littérature policière en 1995, Philippe Huet est un auteur confirmé. Ancien journaliste, il connaît parfaitement le sujet évoqué ici. Quand il décrit cet univers très particulier que fut longtemps la fabrication d’un journal, on sent son attachement à cette tradition. Soulignons le beau portrait d’un patron de presse à l’ancienne, attaché plus que tout à son métier. Pour le décor, la ville dirigée pendant vingt-cinq ans par Jean Lecanuet reste symbolique d’une bourgeoisie feutrée. Sous un calme hypocrite, c’est en coulisses que se jouent donc les viles manigances. Il est vrai que l’immédiat Après-guerre fut cause de rivalités mal digérées, de sourdes rancœurs. L’Épuration n’a pas suffi à écarter les collabos actifs. Du côté des résistants, nouveaux maîtres d’alors, tous ne profitent pas au même niveau de leur action combattante. La traîtrise est un comportement universel, telle pourrait être la morale de cette histoire. La tonalité du récit est vive, entraînante, non sans ironie. À l’exemple du jeune typographe venu de la Résistance, qui se nomme Touvier (homonyme du milicien lyonnais condamné pour crime contre l’humanité). Contexte, ambiance et suspense, voilà les excellents ingrédients de cette intrigue très réussie.

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