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Les chroniques polars et bédé        de Claude Le Nocher - ABC POLAR

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Emmanuel Errer : Le syndrome du P.38 (Fleuve Noir, 1983)

Emmanuel Errer : Le syndrome du P.38 (Fleuve Noir, 1983)

Gilbert Poinçot a été militaire chez les paras pendant huit ans, un vrai baroudeur. Il revient brièvement dans sa ville natale, autrefois très industrielle. Si le bistrot de Papi Naudin est toujours là, la clientèle se fait plus rare. Obsédé par une image d'elle, Gil veut retrouver Nicole, la fille du patron. Il en était naguère amoureux. Peut-être que s'il l'avait épousée, il aurait eu un autre destin que les guerres, Beyrouth, l'Afrique. Nicole est “dans le cinéma” à Paris. Gil s'y installe, devenant vigile, emploi idéal pour un ex-militaire. Ses missions visent aussi parfois des grévistes. Il finit par retrouver Nicole, aujourd'hui appelée Nicky. Leur première relation sexuelle n'est pas une réussite. La jeune femme lui fait rencontrer son ami Luis. Ensemble, avec leur copain martiniquais Jean-Jean, ils ont projet en cours.

Il s'agit d'un film d'animation, long et coûteux à mettre en place. Ils ne révèlent pas à Gil qu'ils ont tenté de se financer en réalisant un braquage à Massy. Maigre butin, Jean-Jean blessé, ça ne va pas faire avancer le projet de film. Ils ont revendiqué le braquage au nom de l'A.P.P., l'Action Ponctuelle Prolétarienne. Ce fumeux groupe terroriste fit déjà parler de lui. C'est le réactionnaire commissaire Génillon et son adjoint, le prudent policier Fayol, qui sont chargés du braquage de Massy. Un coup minable mené par des loubards (dont une femme), pas une action politique, telle est la conclusion de Génillon approuvée par Fayol. Néanmoins, un officier de la DST (Direction de la Sécurité du Territoire) considère que l'affaire est plus sérieuse. Il reste discret sur la piste qu'il suit. Les deux policiers ne sont malgré tout pas convaincus qu'il s'agit de véritables activistes.

Gil continue son boulot pour la société de sécurité. Il peut même espérer un meilleur poste. Nicole et Luis envisagent un autre braquage, qui serait plus rentable, pour boucler le budget de leur film d'animation. Nicole finit par avouer à Gil leur rôle dans le casse de Massy. Un baroudeur aguerri tel que lui, ce serait un atout majeur s'il acceptait de les aider pour un vrai braquage fructueux. Gil y réfléchit car, avec une part du butin, il retournerait volontiers à Beyrouth. Nicole réalise “que le petit soldat n'était peut-être pas aussi niais qu'elle l'avait pensé jusqu'alors.” Un attentat visant l'ambassadeur d'un pays sensible est revendiqué par l'A.P.P. Si Nicole et ses amis n'y sont pour rien, l’État a besoin de bouc-émissaires pour calmer la population. Il est temps de mettre en œuvre l'attaque prévue d'un transport de fonds...

 

Ce roman fut publié en 1983 dans la collection Engrenage (Fleuve Noir), puis réédité en 1991 dans la collection Crime, du même éditeur. “Les noces fiévreuses du roman noir et du suspense” tel est, en quatrième de couverture, l'argument de la seconde édition. Une bonne définition, car il s'agit effectivement d'un authentique suspense noir. L'auteur utilise le contexte social et politique du tout-début des années 1980. Économie en berne depuis l'ère Giscard, entraînant davantage de chômage et l'accroissement du racisme, actions de groupuscules terroristes imitant ceux d'Italie et d'Allemagne, contexte international tendu dans les pays arabes. Sombre toile de fond, témoignant de cette époque. Le monde a très largement changé. Mais il faut croire qu'en trois décennies, la situation n'a guère évolué, car on connaît à peu près les mêmes symptômes de crise aujourd'hui. Et, personnelle ou collective, la violence reste trop présente dans nos sociétés.

Né en 1934, romancier depuis 1974, aussi connu sous le nom de Jean Mazarin, Emmanuel Errer n'est alors plus un néophyte. Il a déjà écrit une cinquantaine de romans, pour la Série Noire et le Fleuve Noir (Spécial-police, Anticipation, Espionnage, Engrenage). Cette même année 1983, il est récompensé par le Grand prix de Littérature policière pour “Collabo-song” publié l'année précédente sous le nom de Jean Mazarin. Autant dire qu'il maîtrise son intrigue. Débutant sur un tempo d'une triste nonchalance, le récit prend une tournure plus âpre par la suite. Soulignons également la qualité de l'écriture. Par exemple, le portrait psychologique de Gil tient en ces quelques lignes : “Il alla jusqu'à la fenêtre, tira l'épaisse toile bleue qui tenait lieu de rideau. Une lumière grise et tenace, une de ces lumières à vous foutre le cafard. Même le visage de Nicole lui parut terne. Lui aussi devait être gris et incolore, comme cette chambre, cette cour crasseuse qui ressemblait à un puits. Il ferma les yeux quelques secondes, retrouva le ciel lumineux et cette mer tellement bleue qui bordait les ruines de Beyrouth.” C'est donc un roman noir qui mérite d'être lu ou relu, et de ne pas être oublié.

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