14 Décembre 2017
D’Horace Mac Coy, on retient les titres de ses romans, publiés chez Gallimard soit dans Série Noire, soit sous couverture blanche : On achève bien les chevaux (1935), Un linceul n’a pas de poche (1937), J’aurais dû rester chez nous (1937), Adieu la vie adieu l’amour (1948), Pertes et fracas (1953). Quand en 1974 est publié “Les rangers du ciel”, on commence à s’apercevoir que Mac Coy était également un excellent auteur de nouvelles. C’est probablement avec “Black Mask stories”, paru aussi au Livre de Poche en 1975, que va éclater cette évidence. Car, parmi les légendaires pulps – magazines bon marchés de l’entre-deux-guerres aux États-Unis – “Black Mask” fut peut-être le plus mythique.
L’introduction de ce recueil est signée Jean-Claude Zylberstein, éminent spécialiste de la littérature populaire, qui créera plus tard la collection Grands Détectives chez 10-18. C’est un portrait d’une remarquable justesse, qui situe autant Horace Mac Coy que son œuvre. Un écrivain inclassable, dont le regard sociétal sur l’Amérique lui ferma certaines portes ? Sûrement. Pourtant, ses romans noirs ont toute leur place aux côtés de ceux de Dashiell Hammett, Raymond Chandler ou David Goodis. Idem pour ses nouvelles, bien sûr. Si les préfaces laissent parfois sceptiques, celle-là est véritablement à lire.
Ici, le premier texte (“Le tueur de tueurs”) apparaît tel une novella, un roman court. Le héros est un enquêteur pur et dur, sans états d’âme particuliers. Le seul but de Jim Sherman est que triomphe la Justice. On est dans le style behavioriste, où la psychologie comportementale se réfère aux actes, pas aux émotions intérieures. Une intrigue rythmée et fort bien ficelée, certes, mais c’est aussi un témoignage sur l’ambiance d’une époque, gangrenée par le banditisme et par une bonne dose de corruption… Les quatre autres nouvelles de ce recueil s’intitulent : Erreur sur la victime, La piste des tropiques, Une vilaine affaire, Le vengeur.
Le tueur de tueurs – Au milieu des années 1930, dans une métropole du Middle West. Engagé par un caïd local, le new-yorkais Nicky Arnold a effectivement fait le ménage dans le milieu des bootleggers, les trafiquants d’alcool. S’il a éliminé les gangs rivaux, Nicky Arnold a fini par supprimer son commanditaire pour prendre sa place. Depuis son QG du Sahara Club, il dirige ses affaires en rétribuant largement son personnel, sans oublier d’arroser quelques flics corrompus. Chef de la police, Terry Mulroy est conscient qu’il risque son poste s’il ne parvient pas à faire cesser les activités de Nicky Arnold. D’autant qu’un comité secret de citoyens fortunés met la pression sur lui. Il ne s’agit pas seulement de coincer le truand, mais d’assainir totalement la situation concernant les bootleggers.
L’homme providentiel, c’est Jim Sherman. Voilà dix-huit ans qu’au sein de la police de New York, puis à titre plus individuel, il fait la guerre aux criminels de toute espèce. Il ne manque pas de sang-froid, on le surnomme “le tueur de tueurs”. La réputation de Nicky Arnold, Jim Sherman la connaît et il ne craint pas de l’affronter. Ce sera une mission bien payée, ce qui compte aussi. D’emblée, il s’invite au Sahara Club, manière d’avertir son adversaire : “La prochaine fois que je te rencontrerai, je risque de te traîner en taule.” Dès le lendemain, une femme au service de Nicky Arnold va tenter de le chloroformer dans sa chambre d’hôtel. Jim Sherman ne se laisse pas surprendre. Il imagine un plan : peut-être qu’en excitant Mink Molardo, le chef d’un autre gang, il pourrait atteindre Nicky Arnold.
Tous les policiers ne sont pas des pourris. Jim Sherman s’appuie sur les inspecteurs Dick George et Walker. Mais c’est une bataille mortelle qui est lancée contre le banditisme, et ça risque d’expédier pas mal de monde à l’hôpital, ou pire. Toutefois, Jim Sherman va tomber sur un jeune et ambitieux district attorney, qui est en admiration devant lui. Le magistrat lui confirme qu’il ne fera preuve d’aucune clémence envers les truands. Il ne reste qu’à espérer qu’il soit vraiment intègre. Par ailleurs, la “société secrète” de notables est moins caricaturale que le craignait l’enquêteur, même si leur cérémonial est quelque peu absurde. Des preuves, Jim Sherman en détient : il est en possession d’un petit carnet rouge indiquant les relations entre les malfrats et certains complices…
(Extrait) “L’affaire de l’assassinat des policiers était du ressort du district attorney. Les journaux qui annonçaient le crime, à grands renforts de superlatifs, publiaient aussi des éditoriaux réclamant vengeance. Les feuilles les plus conservatrices jetèrent elles-mêmes leur prudence légendaire aux orties et l’on put y lire des articles fulgurants. Le district attorney promit publiquement :"Nous mettrons sous les verrous les assassins de Walker et de George, et nous les enverrons à la chaise électrique, envers et contre tout."
Jim Sherman était allé lui faire son rapport, et lui avait remis tout ce qu’il avait trouvé dans les poches de Molardo. Tout, sauf le petit livre rouge. Il le conservait jalousement. Il contenait la preuve irréfutable dont il avait besoin. Le district attorney donna à Sherman des conseils de prudence…"