Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Les chroniques polars et bédé        de Claude Le Nocher - ABC POLAR

1850 chroniques - faites défiler la page - ou cliquez sur l'initale du nom de l'auteur recherché

Jean-François Coatmeur : Chantage sur une ombre (Le Masque, 1963)

Jean-François Coatmeur : Chantage sur une ombre (Le Masque, 1963)

Début de l’année 1960. Âgé de cinquante-cinq ans, l’inspecteur de police Stanislas Worms a pris sa retraite, quittant Paris pour s’installer à Rennes avec son épouse. En février, il apprend tardivement le décès de son ami du même âge Albert Mourelle, de Douarnenez. Celui-ci y dirigeait la Biscuiterie Celtique. Libre de son temps, Worms se rend peu après à Douarnenez, qui fête à cette époque les Gras, le carnaval de la ville. Suzanne, la veuve de Mourelle, est beaucoup plus jeune que le défunt. Il s’est remarié, sa première épouse et leur fille étant mortes plusieurs années plus tôt. Chez Suzanne vit aussi sa propre mère, Mme Maz, vieillarde silencieuse qui passe pour une folle mystique. C’est avec sympathie que la jeune veuve accueille Stanislas Worms, lui apprenant que son mari s’est suicidé.

M.Lautridou, gestionnaire administratif de la Biscuiterie Celtique, confirme à Worms que l’entreprise connaissait depuis quelques années de graves difficultés financières. Dans une telle situation, rien d’étonnant que Mourelle ait choisi d’en finir. Néanmoins, l’ex-inspecteur se pose des questions, même si ses doutes ne se basent que sur de vagues impressions. Certes, l’emploi du temps de l’après-midi fatal paraît clairement établi, selon les dires de sa secrétaire. Pourtant, cette Mlle Le Guen, célibataire sportive de trente ans, n’inspire que modérément confiance à Worms. En outre, des visiteurs pouvaient entrer dans le bureau de Mourelle aussi bien par l’entreprise que par son domicile privé. Roger Martin, ouvrier syndicaliste, semble être le dernier a avoir vu vivant Mourelle.

Worms ne tarde pas à interroger Roger Martin, qui nie avoir assassiné son patron. Venu de Nantes durant la guerre, l’ouvrier fut alors en quelque sorte protégé par Mourelle. Si leurs idéaux politiques divergeaient, Martin n’oubliait pas ce qu’il devait au défunt. Worms dort mal la nuit suivante, autant à cause des échos du carnaval, que parce qu’il reste troublé par beaucoup de questions. Et quelqu’un s’introduit clandestinement dans les bureaux, ce qui s’explique mal. Le vieux gardien Joseph, qu’il interroge le lendemain, est sûrement honnête, mais son témoignage est-il si fiable ? Réunir les protagonistes paraissait une bonne idée à Worms, mais il constate surtout l’animosité entre Suzanne Mourelle et Mlle Le Guen. Dès lors, on peut imaginer que Roger Martin et la veuve soient très proches.

On en est toujours au stade d’éléments diffus, quand l’ancien policier trouve un meilleur indice. Il s’agit d’un chèque, avec un montant déjà conséquent, signé le mois précédent par Mourelle. En apparence, rien d’anormal selon la banque. Tandis que Roger Martin prend la fuite, possible signe de culpabilité, Stanislas Worms fait un détour par Nantes afin de mieux cerner l’affaire. Au final, une reconstitution de la mort de Mourelle devrait permettre de tout comprendre…

(Extrait) “— Ainsi, murmura Worms, vous n’avez pas quitté votre siège de l’après-midi. Et vous n’avez rien entendu ? Pas un écho de la lutte qui peut-être se déroulait à deux pas, derrière cette porte ? Et le coup de feu, rien ?

On entend très mal d’un bureau à l’autre. M.Mourelle, qui était très dur d’oreille, aggravait encore comme à plaisir son isolement. Vous pouvez parler à côté, votre voix ne percera pas cette cloison (…) Quant au coup de feu, continua la jeune fille, je tiens du commissaire Malgorn en personne que la balle a été tirée à bout touchant, ce qui a dû amortir la détonation. Et n’oubliez pas que la machine de l’usine assure un bruit de fond permanent, qui tend à absorber tous les autres bruits.”

 

La France de 1960 est encore très marquée par le souvenir de la Guerre mondiale, pas si éloignée. Coatmeur va évidemment l’inclure dans cette intrigue, se passant Douarnenez. Un décor qu’il maîtrisait parfaitement, lui qui était natif de Pouldavid-sur-mer, un quartier de cette ville. Notons que, plutôt qu’une des multiples conserveries de sardines, il évoque une usine de biscuiterie – plus sujette à des problèmes financiers, peut-être. On regrette un peu qu’il n’y ait pas davantage de détails sur les Gras, pittoresque rendez-vous festif cher aux habitants des environs.

Publié en 1963 dans la collection Le Masque, “Chantage sur une ombre” est le premier roman paru de Jean-François Coatmeur. Il ne le reniait assurément pas, mais pouvait le considérer comme un "galop d’essai" avant d’affirmer une manière plus personnelle, plus tard dans la collection Crime-Club chez Denoël. Même si l’inspecteur Worms est un récent retraité, ça reste avant tout une enquête policière. Toutefois, l’auteur ne s’inspire pas d’un modèle du genre commissaire Maigret, comme le firent tant d’autres romanciers d’alors. Les investigations de Worms visent à rectifier la version officielle, peu satisfaisante, de la mort de son ami. Avec des hypothèses et une poignée de suspects, dans la tradition. Non sans une belle part de psychologie et d’ambiance énigmatique. Décédé le 11 décembre 2017, Jean-François Coatmeur livrait là un premier titre d’un bon niveau.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :