26 Décembre 2017
Une petite ville au bord de la Loire, vers 1960. Le commandant Dromart est un valeureux ancien combattant, médaillé militaire en Indochine. C’est à cette époque qu’il est devenu aveugle. Portant le monocle, il fréquente le cercle des notables locaux. Chacun admet son talent de guérisseur, Dromart pratiquant l’acupuncture. D’ailleurs, il enseigne cette science à sa jeune voisine Georgette Abadie, qui est sage-femme. La vie privée de cette personne n’est pas sans secrets. Elle est la maîtresse cachée d’Alexandre Mérignac, politicien ayant des ambitions nationales. Toutefois, ce dernier compte rompre avec Mlle Abadie, afin de se fiancer avec Mme Desforges. Car une ravissante quadragénaire, veuve d’un capitaine de vaisseau, assez fortunée, c’est tout de même plus digne du rang de M.Mérignac qu’une simple sage-femme. Il demandera au commandant d’annoncer la rupture à Mlle Abadie.
Ce jour-là, il règne une certaine agitation dans l’immeuble où habite Dromart. Il apprend que Georgette Abadie, sortie pour une urgence dans la nuit, revenue et repartie, n’est pas encore rentrée. C’est en se rendant au commissariat pour signaler l’incident que Dromart apprend le meurtre de la jeune femme. Elle a été poignardée le matin même chez Mérignac. S’il n’est probablement pas le coupable, c’est la fin de la carrière politique de celui-ci. Le journaliste Pomarède, défavorable à la candidature de M.Mérignac, se charge de laisser planer le soupçon, bien que ne l’accusant pas. Sur le lieu du crime, on retrouve une bourse pleine de pièces d’or appartenant à la victime, mais le poignard meurtrier n’est pas celui qui tua Georgette Abadie. Il s’agit d’un couteau asiatique, que le commandant Dromart avait offert à Mérignac. Cet échange d’armes ne s’explique guère.
Le commissaire Tournemire est avisé d’un autre problème local. À quinze kilomètres de là, se trouve le château-forteresse du marquis de Nostang. L’aristocrate y vit assez reclus, avec sa fille de vingt ans, Bénédicte. Celle-ci souffre d’un mal disgracieux au visage. Outre le garde-chasse du domaine et sa belle épouse, la propriété du marquis héberge aussi un jeune Hongrois, Matyas Szolnok. Ce dernier a été tué dans un malencontreux accident de chasse, avant que son corps disparaisse dans des eaux profondes. La gendarmerie a été appelée pour cet accident, qui serait juste regrettable s’il n’était suivi de plusieurs suicides fort énigmatiques. De son côté, Tournemire reçoit le renfort du commissaire Périgny, plus compétent que lui en matière de meurtres. Chez les notables, on conseille à M.Mérignac de se faire bien vite oublier, de partir en voyage tandis que l’on s’occupe du crime.
Le journaliste Pomarède a invité un de ses amis le rejoindre. Marcel Colombe est détective privé. Avec le commandant Dromart, dont Pomarède connaît la sagacité, ils se rendent au château de Nostang. Où le marquis, aristocrate à l’ancienne maître chez lui, affiche une hostilité flagrante. Pas question qu’on fourre son nez dans ses affaires. À part l’accident de chasse, rien à reprocher au marquis selon les policiers, qui ne situent aucun lien pouvant exister avec la mort de Mlle Abadie. Par contre, ils pensent qu’un protagoniste a commis une usurpation d’identité, qui sera confirmée. Pour autant, ce n’est pas un assassin…
(Extrait) “Dans le miroir qui était suspendu vis-à-vis de la porte, il distingua clairement une main dressée, armée d’un poignard, qui s’abattit dans le dos de sa maîtresse. Poussant un cri, Mlle Abadie s’écroula tandis que le meurtrier s’enfuyait dans l’escalier. Après un instant de stupeur, Mérignac courut à la fenêtre de l’antichambre. À travers la pluie qui maintenant tombait, fine et froide, il ne discerna qu’une silhouette confuse, au moment même où elle disparaissait au tournant de la rue.
Inanimé, le corps de sa maîtresse gisait sur le tapis, un poignard planté entre les deux épaules. C’était une arme de vénerie, au manche fait d’une patte de sanglier. Sans réfléchir, Mérignac l’arracha de la blessure et le posa sur le marbre de la commode qui était placée sous le miroir. Un peu de sang vint rougir le corsage.”
Récompensé par le Prix du Quai des Orfèvres en 1960, “Le monocle noir” fut porté au cinéma par Georges Lautner en 1961, avec Paul Meurisse, Elga Andersen, Bernard Blier, Pierre Blanchar, Gérard Buhr, Marie Dubois, Jacques Dufilho. Le scénario du film : des nostalgiques du nazisme se réunissent au château de Villemaur, pour y rencontrer un survivant du 3e Reich. Parmi eux, se trouve le commandant Dromard, agent secret muni d’un monocle. Cette comédie d’espionnage n’a aucun rapport avec l’histoire d’origine. On y retrouve certains noms : Dromart, le commissaire Tournemire, Bénédicte – la fille du marquis, Mérignac – ici, conservateur du château, Mlle Abadie – secrétaire, et non sage-femme. Ce jeu de cache-cache, pétaradant de "plop, plop" au son des revolvers dotés de silencieux, s’avère sans ressemblance avec le roman du colonel Rémy.
C’est un authentique suspense policier que concocta l’auteur. Témoignage d’une époque, nous sommes là dans l’ambiance d’une ville bourgeoise où magistrat, militaire retraité, médecin, maire, journaliste, politicien, incarnent la bonne société locale. Qui sait comment réagir au mieux de leurs intérêts, quand l’un des leurs est impliqué dans une sale affaire. Il existe encore des nobliaux, fiers de leurs privilèges, vivant quelque peu hors du temps dans un château où nul ne pénètre jamais. En effet, ce genre d’aristocrates conservait un réel dédain pour les populations ordinaires. L’intrigue présente un aspect historique, car la guerre d’Indochine n’est pas si éloignée – la bataille de Cao Bang ne datant que de 1950, par exemple. On note aussi qu’il est question d’acupuncture, types de soins venus d’Asie qui n’étaient sûrement pas très répandus dans la France d’alors.
Plusieurs facettes criminelles sont habilement exploitées, sans inutile tension excessive. Avec une part énigmatique supplémentaire, qui vient corser le dénouement du scénario. Un excellent roman, sauf erreur jamais réédité, qui mérite d’être redécouvert.