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14 Mai 2011
Lyon, en 1920. Hugo Salacan est âgé de trente-huit ans. Il est depuis peu à la tête du
premier laboratoire de police scientifique, fondé par Edmond Locard dont il fut le disciple. Passionné de criminologie autant qu’émule de Sherlock Holmes, Salacan utilise les méthodes et
techniques les plus novatrices pour dénicher des indices probants. Il s’entend parfaitement avec le commissaire Victor Kolvair, lui aussi partisan d’une police moderne. Rescapé de la Grande
Guerre, ce dernier y a perdu une jambe. Il porte une prothèse, où il dissimule la drogue qui l’aide à surmonter ses douleurs. Célibataire, il vit avec son chien Néron. Bien qu’il ne soit pas
natif de cette ville, il se considère comme un pur Lyonnais. Salacan et Kolvair apprécient peu le procureur Pierre Rocher, aux idéaux passéistes fort peu démocratiques. Le magistrat soutient plus
volontiers les Brigades Mobiles créées par Clemenceau, que cette police s’appuyant sur la science. L’inspecteur Legone, qui fait localement partie de ces Brigades du Tigre, cache plusieurs
secrets — dont sa véritable identité. Les enquêtes en cours vont opposer les deux camps.
Le cadavre méconnaissable d’une femme, violentée et mutilée, a été retrouvé au Pré aux Moines. La victime entortillée dans un long fil de soie était enfermée dans une malle caractéristique. Même si Salacan tente un moulage de la face, il ne sera pas aisé de l’identifier. Une autre victime, aussi âgée que celle-là, a été découverte dans un atelier de tissage. L’ouvrière Madeleine Ronsard a subi de cruels sévices, identiques à la dame du Pré aux Moines. Kolvair, Salacan et le légiste homosexuel Damien Badou sont convaincus qu’un même assassin a agi dans les deux cas. Chargé de la seconde enquête, l’inspecteur Legone ne tarde pas à arrêter un coupable. C’est un cambrioleur surnommé Le Tricoteur, qui sévissait dans toute la région, et narguait la police par l’intermédiaire de la presse. Cet ancien combattant, lui aussi marqué physiquement, avoue bientôt le double crime. Pour Salacan et Kolvair, il n’a absolument pas un profil d’assassin.
Le légiste Badou précise que les deux femmes étaient quasiment aveugles, un détail d’importance sans nul doute. Une troisième affaire mobilise la police. Le meurtre de Gisèle Patou ressemble un peu aux deux précédents, mais elle n’a pas subi de viol. Les journaux ayant largement évoqué les deux meurtres, il doit s’agir d’un imitateur. Kolvair contacte le Dr Bianca Serraggio, une aliéniste très qualifiée. Le policier s’avoue attiré par cette charmante jeune femme. Pour elle non plus, Le Tricoteur ne fait pas un bon suspect. Elle analyse différences et points communs entre les deux premiers meurtres, cherchant à définir le profil psychologique du coupable. Tandis que l’inspecteur Legone enquête sur des films érotiques clandestins, Kolvair s’intéresse au Conseil des Prud’hommes. Plusieurs éminents membres possèdent des malles similaires à celle du Pré aux Moines…
Ce n’est pas une enquête policière linéaire que nous présente l’auteure. Chaque protagoniste suit son propre parcours autour des faits criminels. Le quotidien du policier Kolvair ou du scientifique Salacan n’est pas exclusivement consacré à la recherche du meurtrier. Dans leur sphère, sont cités Edmond Locard (précurseur des méthodes d’investigations efficaces) ou le Pr Alexandre Lacassagne, aliéniste de renom qui étudia la psychologie d’auteurs de crimes. Ce roman permet de retracer l’histoire de Lyon, de ses quartiers, des traboules et des bouchons, des canuts, de l’industrie du tissage, et de la bourgeoisie des soyeux. En parallèle, on nous parle d’une de ces riches familles au destin perturbé, voire maudit. Les frères Lumière, célébrités lyonnaises, ne sont pas oubliés. Les faits étant proches de la 1ère Guerre mondiale, quelques “gueules cassées” figurent évidemment parmi les personnages. En effet, au sortir du conflit, la page n’est pas encore vraiment tournée. Tout cela contribue à nous offrir un savoureux polar historique à l’intrigue assez épicée, et même très sombre par certains aspects. Ce premier roman d’Odile Bouhier est très convaincant.