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Les chroniques polars et bédé        de Claude Le Nocher - ABC POLAR

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Stanley Péan : Bizango (Éd.Les Allusifs, 2011)

11-PéANÀ Montréal, de nos jours. Domino Roussel, vingt-trois ans, native d’Haïti, arrivée au Québec voilà une douzaine d’années et confiée à une famille bourgeoise, a connu un parcours chaotique. Fugueuse, elle a fini par échouer dans l’entourage de Chill-O, un Haïtien d’origine qui se présente comme producteur de musique hip-hop. Surnommée Gemme, Domino ne reste pas longtemps intouchable auprès de son prince charmant. Chill-O la met bientôt à l’ouvrage comme danseuse nue et prostituée, tandis que lui continue à diriger son bizness de drogue. Malgré les affirmations du patnè (proxénète) Chill-O, les bouzen (putes) sont malmenées par sa bande de michan gason (voyous) à son service. Ce soir-là dans un bar, une altercation éclate entre Domino et le bras droit de Chill-O. Un inconnu s’interpose, cognant le nommé Steel, avant de s’enfuir avec la fille.

Cet homme qui a protégé Domino, la journaliste Andréa Belviso (du Quotidien de Montréal) pense l’avoir rencontré naguère. C’était à New York, au cœur d’un drame. Dans des faits divers, elle a trouvé plusieurs cas d’une présence étrange. Une sorte d’être caméléon apparaît pour aider des gens en péril, adoptant le visage qui rassure le plus les victimes. Il a collaboré un temps avec Mado la voyante, cartomancienne ayant connu une petite notoriété. Pas facile pour Andréa de convaincre son patron qu’il existe là un sujet à explorer.

Lorenzo Appolon est un des rares policiers montréalais d’origine haïtienne. Il a refait sa vie avec Marie-Marthe, sa compagne étant propriétaire de restaurants typiques. Celui qu’Appolon voudrait coincer depuis bien longtemps, c’est Chill-O. Il n’ignore pas grand-chose des activités de cette bande et de son chef. Mais il manque de preuves, l’image publique de Chill-O étant propre. L’altercation entre Domino et Steel est insuffisante. Néanmoins, Appolon est intrigué par l’inconnu ayant secouru la fille. Des êtres bizarres, il en a déjà combattus dans sa vie.

Domino amène son curieux protecteur chez Papy Bòkò, le vieux houngan (prêtre vodou) qui la considère telle sa fille. Le vieillard réalise vite que c’est un bizango. Vouloir désenvoûter le caméléon humain est au dessus des forces de Papy Bòkò, qui doit être hospitalisé. Si le couple s’offre un petit séjour dans un hôtel de luxe du Vieux-Montréal, il est plus prudent pour Domino et son ami de quitter la ville. Ils se réfugient chez Wells, un vieux fermier aveugle qui croit que le bizango est son fils revenu. Sûre que Chill-O enverra ses sbires à leurs trousses, Domino se demande si elle a bien fait de suivre cet inconnu. D’autant qu’il a tué un des hommes de Chill-O dans un restaurant de Marie-Marthe. Le policier Appolon n’obtient pas un total soutien de son supérieur et ami, mais poursuit son enquête. Il est contacté par Andréa, qui lui révèle tout ce qu’elle sait. Face à la violence du gang, Apollon et le bizango réagissent chacun de leur côté…

Coup de cœur pour ce roman qui mêle une part de Fantastique à l’intrigue polar. La rencontre entre le bizango et la jeune prostituée marque le début du portrait de cet étonnant personnage, issu des traditions vodous : Malgré ses efforts, il n’arrivait pas à rompre le contact avec cette fille. Et, très vite, le transfert d’informations entre l’esprit de Gemme et le sien gagna encore en intensité. La danseuse porta ses poings à ses tempes, en proie à un vertige soudain qu’elle ne pouvait attribuer au rhum (…) Elle pressait son arcade sourcilière gauche du bout des doigts et sembla hurler «Sortez de ma tête!» Sans que le moindre son franchisse ses lèvres charnues. Au fil du récit, se dessine plus précisément le caractère de cet être errant, portant ses incertitudes et ses propres douleurs, soulageant celles des autres en pénétrant leur âme, devinant leurs cicatrices, prenant le visage ou la forme qui s’adapte à telle situation. Il ne s’agit pas d’un ange gardien ou d’un démon, l’esprit vodou étant subtilement plus nuancé. Assimiler cette religion à des exercices de magies ou à des rituels exotiques, ce serait nier la profondeur de ces croyances (Sérieusement, le vodou, est-ce que ça fonctionne pour de vrai ?).

À travers les réminiscences de Domino, de Papy Bòkò, et d’autres, des images d’Haïti apparaissent aussi, comme en filigrane de l’histoire. Retenons encore la dimension sociale de ce roman. Dans le Québec actuel, est évoquée la place des populations venues d’Haïti. Très juste sans doute, ce débat télévisé sur la délinquance, avec ses clichés sur la responsabilité des gangs de Noirs. On entendrait le même type d’argumentaire largement vicié en France, hélas. L’auteur compare un peu la cuisine haïtienne à l’intégration des siens, l’une et l’autre n’ayant pas réussi à s’imposer dans la vie québécoise. Être intégré ne garantit pas le bonheur, à l’exemple du policier Appolon, qui reste insatisfait, blessé à l’intérieur, par un épisode précédent (Zombie blues). Un roman comportant plusieurs entrées, comme celui de Stanley Péan, est forcément riche et passionnant. Sans oublier une écriture en finesse et une belle part de suspense. À découvrir !

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