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Les chroniques polars et bédé        de Claude Le Nocher - ABC POLAR

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Thomas H.Cook : Le crime de Julian Wells (Éd.Seuil, 2015)

Thomas H.Cook : Le crime de Julian Wells (Éd.Seuil, 2015)

Philip Anders est un critique littéraire new-yorkais quinquagénaire. Son père, aujourd'hui âgé, fut un diplomate du Département d’État. Celui-ci resta un simple bureaucrate, et non pas l'homme d'action qu'il rêvait de devenir. Une trentaine d'années plus tôt, il fut le mentor de Julian Wells, le meilleur ami de son fils. Mais, après un voyage avec Philip en Argentine, le jeune diplômé renonça à entrer au Département d’État.

Il préféra devenir un écrivain-voyageur, s'exiler à travers le monde pour ne séjourner que rarement aux États-Unis. Son thème, ce furent des cas meurtriers criminels singuliers et des grands noms de la criminalité. Après des enquêtes fouillées sur place, il écrivit des livres sur la cruelle comtesse Báthory, Gilles de Rais, le "crime" mal élucidé de Cuenca, le massacre d'Oradour-sur-Glane, le tueur en série russe Tchikatilo, et autres sujets macabres. Toujours, Julian chercha une perspective différente pour aborder ces dossiers.

Julian Wells vient de se suicider sur l'étang de la propriété campagnarde qu'il partage avec sa sœur Loretta, correctrice dans l'édition. Aucun mystère sur les conditions de sa mort. Il semblait plus tourmenté que jamais ces derniers temps, selon Loretta. Toute sa vie, Julian avait été plutôt sombre, il est vrai. Peut-être à cause d'un fait qui marqua leur voyage en Argentine avec Philip, dans les années 1980, au temps de la junte militaire. On leur donna pour guide la jeune Marisol, qui n'apparaissait pas politisée. Elle leur présenta le père Rodigo, qui s'occupa d'elle durant son enfance. Puis un jour, elle disparut subitement. Les deux Américains purent penser que Marisol, se sentant menacée, s'était réfugiée dans le Chaco, sa région natale. La dictature donnait lieu à toutes les interprétations. À moins qu'elle ne fut proche des rebelles Montoneros, comme le pense encore le père de Philip.

Si une amitié de longue date fut bien réelle entre Julian Wells et lui, en creusant dans ses souvenirs, Philip s'interroge sur une possible part de duplicité chez son ami. Il se rend à Paris, où Julian possédait un appartement. Il rencontre René, ancien barbouze en Algérie, avec lequel il va jusqu'à Oradour, puis s'informe dans un bar sinistre de Pigalle fréquenté par Julian. Philip sent de plus en plus que sa mort était liée à une culpabilité : cela avait-il un lien avec l'Argentine et Marisol, un rapport avec ces femmes criminelles (telles Ilse Grese ou "la Meffraye") sur lesquelles il écrivit, ou quelque autre raison ? “Dans un thriller, ce seraient les autres qui essaieraient de m'empêcher d'en savoir plus… Mais là, on dirait que c'est Julian qui brouille les pistes.” Un ancien agent du Département d’État installé à Londres lui communique un vieux dossier remontant à l'époque de la junte argentine.

Le père de Philip fut jadis en contact avec une Hongroise qui, après la guerre, était partie en Argentine et fut employée par les autorités. Puisqu'elle est retournée dans son pays, non loin du château de la comtesse Báthory, Philip et Loretta qui l'a rejoint vont recueillir le témoignage de cette Irène Jóság. Elle leur livre ce qu'elle sait, sur son supérieur et sur un terroriste surnommé El Árabe. Le couple va devoir poursuivre son voyage de Rostov, en Russie, jusqu'en Argentine pour ajuster les pièces biseautées du puzzle…

 

Thomas H.Cook nous présente cette fois un roman d'espionnage. Plutôt dans la tradition des romans à suspense de Graham Greene, que dans le genre spectaculaire des films de James Bond. Ce n'est pas au cœur d'une intrigue d'aventures qu'il nous entraîne ; l'auteur nous adresse d'ailleurs quelques clins d'œil : “Le personnage de fiction parcourt le monde en parlant, comme par miracle, [la langue] du pays où le mènent ses pérégrinations. Dans le monde de la fiction, tout le monde se comprend...” Non, ni facilités de cette sorte, ni scènes bondissantes armes à la main ; tous ses lecteurs savent que Thomas H.Cook est nettement plus subtil que ça. C'est le portrait de Julian Wells que son ami Philip Anders va, sur fond d'espionnage, tenter de reconstituer. Grâce à l'œuvre littéraire du défunt, autant que via ses souvenirs personnels, ceux de son père, de Loretta et de certains témoins.

L'évocation du Mal est fréquente chez l'auteur : il parsème ici le récit de faits historiques criminels marquants. Concernant l'Argentine, il ne détaille pas les exactions des militaires au pouvoir ou de leurs opposants, mais fait habilement ressentir le climat qui pouvait alors régner dans ce pays. Si, désormais, nul n'est censé ignorer les sordides méfaits commis par la dictature et ses alliés (dont la fameuse Opération Condor), les "initiés" étaient assez rares à l'époque : le peuple américain et le reste du monde ne pouvaient en mesurer la monstruosité. Ni, probablement, la perversité du jeu d'espionnage entourant les conflits à travers la planète, de la Guerre Froide à nos jours.

L'élégante écriture de l'auteur semble fort bien mise en valeur par la traduction de Philippe Loubat-Delranc, il convient de le souligner. Un roman impeccable ? Oui, on a le sentiment que Thomas H.Cook se surpasse à chaque nouveau titre.

Chaque jour, mes chroniques et mes infos :

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