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Les chroniques polars et bédé        de Claude Le Nocher - ABC POLAR

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Brigitte Aubert : Le royaume disparu (Éd.10-18, Inédit 2013)

Brigitte Aubert : Le royaume disparu (Éd.10-18, Inédit 2013)

Paris, 1898. Reporter déjà chevronné, le jeune Louis Denfert est journaliste pour Le Petit Éclaireur. Il partage la vie de la belle comédienne Camille. Parmi ses proches, il compte le Dr Albert Féclas, médecin légiste criminologue, disciple du Pr Lacassagne. Et aussi Émile Germain, ancien sergent des troupes coloniales. Autour de ce groupe d'amis, il y a encore un jeune écrivain prometteur, Marcel Proust. L'attraction actuelle au Jardin d'Acclimatation, c'est un village africain et ses habitants. On présente au public des Noirs du Dahomey, ce petit royaume récemment conquis militairement par la France. Un villageois vient d'y être assassiné, décapité, sans doute par un de ses congénères. La police suppose un dispute qui aurait mal tourné. En fuite, le suspect est Bidossessi, le “zangbeto” (sorcier) de ce village reconstitué. Ce dernier trouve bientôt refuge dans un cirque, grâce au petit Momo.

Albert Féclas autopsie le cadavre, trouvant dans sa bouche une sorte de pommeau de canne, une “récade” abritant un message. Le médecin s'intéresse de près au Dahomey, car il doit bientôt y tourner le premier témoignage cinématographique sur cette région d'Afrique, un film ethnographique. Quand Louis, Camille, Émile et Albert visitent le village, ils y font la connaissance du cafetier métis Gando, et du jeune Figdabé, qui leur sert de guide. Il semble qu'un meurtre comparable, par décapitation, ait été commis il y a peu au Dahomey. Des actes en lien avec les religions très présentes dans ce pays, ou avec le roi déchu qui a toujours des adeptes, difficile à cerner pour des Occidentaux. Bidossessi a été engagé dans un “spectacle nègre” parisien, auquel assistent Louis, ses amis, et Figdabé. Le suspect va encore fuir, mais il sera vite rattrapé par l'assassin et décapité à son tour.

À Marseille, Louis, Camille, Émile et Albert embarquent pour le Dahomey. Le médecin a aidé Figdabé à voyager clandestinement. Gando, lui aussi, retourne au pays. Louis et ses amis sympathisent avec des afro-américains évolués allant vivre Liberia, ainsi qu'avec le boxeur Tyler qui hésite sur son avenir. À bord, se trouve aussi l'anonyme “Voyageur” qui, tel un oiseau de mauvaise augure, est messager de la Mort. À l'arrivée en Afrique, Louis se demande s'il y a matière à enquête : “Les évènements de Paris lui paraissaient à présent si lointains ! Deux hommes assassinés, un troisième tué ici-même. C'était grave, certes, mais qu'y pouvait-on ? Que pouvait-on comprendre aux querelles des autochtones, et devait-on même s'en mêler ?” Après avoir rencontré des coloniaux, Louis et ses amis vont tâter la réalité dahoméenne. Un séjour riche en mystères et en meurtres. Car, outre le Décapiteur et le Voyageur, un émule de Jack l’Éventreur (ou lui-même) est sur place...

 

Brigitte Aubert s'est parfaitement documentée pour cette cinquième aventure – inédite – de son héros Louis Denfert. C'est une véritable immersion dans cette époque, dans les ambiances et les décors d'alors, à laquelle nous invite cette romancière expérimentée. Le regard de l'Occident sur l'Afrique est faussé par la conquête coloniale. Après avoir favorisé le trafic d'esclaves, on impose notre civilisation sans réaliser qu'ils possédaient leur propre culture. L'animisme et le vaudou, les remèdes médicinaux efficaces, le poids dynastique des chefs tribaux, on a cru balayer tout ça bien vite pour s'approprier les richesses locales. “Oui, autant profiter de tout ce que pouvait offrir ce pays, songea Louis avec amertume, autant y prendre tout ce qu'on pouvait, presser les terres et les habitants comme des citrons, et les obliger à vivre à notre manière, pour notre commodité.”

Nous voici donc embarqués dans les tribulations africaines de Louis et consorts, avec une série de péripéties plutôt agitées. En ces temps où, avant l'arrivée du futur siècle, bien des gens se cherchent une nouvelle vie : vivre librement au Liberia pour des Noirs, s'installer en nababs dans ces contrées mal connues pour des Blancs. Brigitte Aubert nous décrit tout cela, sans se départir d'une certaine ironie. Ainsi évoque-t-elle par exemple l'excitation féminine interraciale : “Les Américaines avaient peur des Noirs, les Parisiennes voulaient coucher avec, mais c'était la même chose.” Si Marcel Proust y intervient, Arthur Rimbaud n'est pas non plus absent de cette histoire. En savourant ce polar, laissons-nous charmer par l'Afrique et ses sortilèges, comme disaient jadis nos aïeux.

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