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Les chroniques polars et bédé        de Claude Le Nocher - ABC POLAR

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Frédéric Dard : La crève (Fleuve Noir, 2010)

10-DARDLa guerre s’achève, c’est la Libération. Les Alliés approchent, on entend le bruit des combats, du canon. Terrée dans une chambre, tandis que vient la nuit, la famille Lhargne attend la suite des évènements. Le père, Albert, est un honnête homme de 58 ans. Il ne comprend guère de cette époque troublée, qu’il a traversée en continuant de construire des routes et des tunnels. Connaît-il vraiment ses enfants, aujourd’hui adultes ? Tout ce qu’il sait, c’est qu’il faut se cacher et patienter. De sa femme Constance, on ne remarque que le gros ventre et la mollesse bienveillante. Elle ne parvient probablement pas à rassurer ses proches, malgré sa sérénité protectrice.

Leur fille Hélène est une belle jeune femme de 26 ans. Mannequin, elle a toujours besoin de se sentir belle, attirante. Intelligente, elle se veut romantique. Elle a été l’amante de M.Otto, un officier Allemand. Sa famille et elle savent bien que, en ces heures tourmentées de la Libération, on ne pardonne pas ce genre de relation. Le dernier, c’est Petit Louis. Milicien pronazi, ayant tué bon nombre de Français, il n’ignore pas ce qu’il risque et masque à peine sa peur. Il reste cynique, se rangeant encore du côté des héros et non des salauds. Cette nuit-là, tous dorment peu et mal, flottant entre sommeil et éveil. Les doux souvenirs remplacent difficilement la réalité présente.

À l’aube, dehors, ils saccagent et incendie la ville. Ce n’est plus qu’une question d’heures avant que les libérateurs arrivent. Dans cette chambre, celle d’un Milicien ami de Petit Louis, les tensions entre frère et sœur ne durent pas. Petit Louis est bien incapable d’analyser la complexité de son propre caractère. Surtout, il n’exprime aucun regret sur ses choix, sans savoir s’il en est fier ou pas. Hélène a une pensée pour M.Otto, sans doute mort maintenant, dont elle ne fut jamais amoureuse. Ce qu’elle aime chez les hommes, c’est leur image, pas eux-mêmes. Elle envisage aussi le sort à venir de son frère. Dehors, quand les Alliés sont là, la population les accueille chaleureusement. Certains oublient qu’ils ont applaudi aussi vivement le Maréchal Pétain.

Le père s’aperçoit de son erreur : Il imaginait les maquisards à travers les récits de son fils. Il voyait des individus en guenilles, à mines patibulaires et armés d’escopettes, des dévoyés, de la racaille, et voilà qu’il tombe sur l’Armée française. Après cet épisode, ne sera-t-il pas possible de recommencer, autrement ? s’interroge Hélène. Son frère est sans illusion, car le regard qu’on porte sur lui ne changera pas. À midi, dehors, la rue prend des airs de fête. Dans cette cohue, les Lhargne peuvent espérer passer inaperçus…

Par son contexte socio-historique et sa dramaturgie, ce texte répond exactement à la définition du roman noir. Sachant qu’il fut écrit juste après la Libération, il s’agit aussi d’une forme de témoignage. Ce remarquable huis-clos n’est ni théâtral, ni manichéen. Frédéric Dard ne juge pas ses personnages. Il ne suscite pas non plus la pitié à leur égard. Il décrit avec subtilité quatre êtres humains, ni salement détestables, ni assez sympathique pour que le lecteur soit indulgent. La coquette Hélène et le méprisant Petit Louis échapperont-ils à leur destin, comme ce fut le cas de trop de collabos lors de l’Épuration ? Si le suspense porte sur cette question, c’est toute l’ambiance de ces quelques heures d’enfermement qui fait la force du récit. Un roman court et dense, à redécouvrir !

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