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Les chroniques polars et bédé        de Claude Le Nocher - ABC POLAR

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Nikolaj Frobenius : Je vous apprendrai la peur (Actes Sud, 2011)

11-FROBENIUSNé en 1812, Rufus W.Griswold est à son époque un influent critique littéraire. Consacré pasteur, mais n’exerçant pas, ce rédacteur pour plusieurs journaux est un homme très pieux. Depuis son enfance, sa culture est marquée par l’idée du Bien et du Mal, de la culpabilité et de la religiosité. Spécialiste de la poésie américaine, il publie une mémorable anthologie qui fait référence. Cet ouvrage favorise toutefois des auteurs tels Charles Fenno Hoffman ou Henry Longellow, d’un talent relatif, mais ne présente que trois poèmes mineurs d’Edgar Poe. Pour Rufus Griswold, depuis qu’il a lu sa nouvelle Bérénice, Poe incarne le Mal absolu. Il n’existe selon lui aucune morale ni dans les poèmes, ni dans aucun des textes d’Edgar Poe. Il juge son œuvre sinistre, sans admettre que pour Poe la beauté est sombre et dérangeante. Les deux hommes se connaissent, se méfient l’un de l’autre. Ils se combattent dans leurs écrits, Griswold étant le plus féroce.

Edgar Poe est né en janvier 1809. Très tôt orphelin d’une mère comédienne, il est adopté par la riche famille Allan. Jamais il ne s’est senti leur enfant. Dès l’âge de seize ans, il a décidé de devenir un écrivain célèbre. Les obstacles sont nombreux, y compris de la part de son père adoptif. Après une période dans l’armée, puis comme rédacteur dans un journal, ses qualités restent longtemps méconnues. Pourtant, il écrit depuis l’enfance. Son ami Samuel Reynolds en fut le témoin. Ce Noir albinos, fils d’une esclave, apprit à lire grâce à Edgar Poe et à ses premières nouvelles. Il en fut irrémédiablement marqué. C’est ensemble que les deux jeunes gens fuirent la propriété des Allan, avant que leurs chemins se séparent à Baltimore. Après une période chaotique et miséreuse, la réputation d’Edgar Poe grandit trop lentement à ses yeux. Il ne doute jamais de son génie. Son arrogance trouble et obsède Rufus Griwold autant qu’elle énerva John Allan.

Un premier faits divers criminel s’inspire de la nouvelle Bérénice. Le journaliste Evan Olsen ne fera le lien avec Edgar Poe que plus tard. C’est quand une autre affaire meurtrière plagie Double assassinat dans la rue Morgue, qu’il contacte Rufus Griswold. Evan Olsen et le critique littéraire font circuler des rumeurs dans tout New York, au point que le policier Joe Sullivan finit par interroger Poe. Il ne peut pas être inquiété, mais cette hypothèse d’un imitateur de ses nouvelles le perturbe. Si Edgar Poe a signé une critique hypocritement élogieuse au sujet de l’anthologie de Griswold, il alimente le débat sur le sérieux de l’ouvrage. Entre les deux hommes, l’antagonisme ne cesse jamais. Admirateur de son maître, Samuel Reynolds s’invite chez Griswold, espérant vainement le convaincre de soutenir Poe. La logique religieuse de Griswold se heurte jusqu’à la fin, au-delà du décès de l’écrivain en 1849, à la conception même des textes d’Edgar Poe…

Auteur de puissants poèmes et de textes du domaine Fantastique, Edgar Poe reste l’initiateur de la Littérature policière. Il n’a pas cherché à créer un genre, mais à se démarquer d’une forme trop peu inventive à son goût. Si New York est à son avis la ville des possibles, les milieux culturels y sont adeptes d’un banal conformisme. Néanmoins, il impose son talent et fait admettre son originalité, non sans compter quelques ennemis. Le plus stupide d’entre eux est donc Rufus Griswold, menant une croisade mystique, aveuglé qu’il est par ses croyances et sa propre quête de moralité absolue. Poe entre dans son jeu. Mort trop jeune, il sera perdant. Malgré tout, c’est son nom que la postérité à retenu, pas celui de son contradicteur (vaguement réputé en tant qu’anthologiste).

Retraçant avec précision l’existence si particulière et intense d’Edgar Poe, c’est une biographie romancée que nous propose Nikolaj Frobenius. À l’évidence, le parcours de l’écrivain s’apparente tellement à ses nouvelles, qu’on ne peut dissocier son œuvre de sa vie. En relevant ses ambiguïtés, tel par exemple ce mariage avec sa très jeune cousine, dont il était sincèrement épris. Bien sûr, il y a aussi la toute fin de sa vie, peut-être énigmatique. Frobenius ajoute un aspect criminel à ce roman, avec le personnage imitant les textes de Poe, respectant sa logique et leur tonalité sinistre. Cette ombre plane sur tout le récit, non pas qu’il s’agisse deviner son identité, mais comme élément perturbant supplémentaire dans l’univers de Poe et Griswold. L’ambiance habilement restituée par l’auteur inclut fatalement la mort et le crime, bien que ce soit avant tout une biographie, un très bel hommage au génie d’Edgar Poe, et non un noir polar à suspense.

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